Aucun de nous ne reviendra, Charlotte Delbo
Aucun de nous ne reviendra (titre inspiré du vers « Aucun de nous ne reviendra » de La maison des morts de Guillaume Apollinaire) écrit par Charlotte Delbo en 1946 est le premier volume de « Auschwitz et après » dans lequel elle décrit avec ardeur l'ignominie des ces 27 longs mois de déportation. Publié seulement en 1965, Charlotte débute son récit en décrivant une scène quotidienne, une scène à laquelle nous pouvons tous nous identifier, celle d'une gare où des gens arrivent, partent, se saluent.
« Mais il est une gare où ceux-là qui arrivent sont justement ceux-là qui partent, une gare où ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés, où ceux qui sont partis ne sont jamais revenus. C'est la plus grande gare du monde. [...] Ils ne savent pas qu'à cette gare-là, on n'arrive pas. »
Mais. Voilà la différence. Dès le début de son œuvre, le lecteur est frappé par cette opposition marqué par la conjonction de coordination « mais », marquant alors l'opposition entre l'imaginable, ce que nous pouvons vivre et l'inimaginable, ce que nous ne pensons pas pouvoir vivre, et ce qu'ils ont pourtant vécu.
Après avoir adhéré aux Jeunesses communistes en 1932 à l'âge de 21 ans, Charlotte Delbo adhère également à l'Union des filles de France fondée par Danielle Casanova en 1936. Politiquement engagée, elle écrit même pour Les cahiers de la jeunesse en tant que pigiste. Philosophie, théâtre et écriture, une grande vivacité intellectuelle anime Charlotte. Surnommée « La jouvette » (elle était l'assistante de Louis Jouvet) par ses camarades, Charlotte est décrite comme une femme drôle et incroyablement belle. En 1935, elle rencontre Georges Dudach, militant communiste, qu'elle épouse en 1936.
Mais le 2 mars 1942 tout bascule. Georges Dudach repéré, tous deux sont arrêtés lors d'une opération. Le 23 mai, Georges est fusillé et Charlotte Delbo se retrouve veuve à l'âge de 29 ans. La mort frappe. Ce n'est que 9 mois plus tard, le 24 janvier 1943 que Charlotte et 229 autres femmes, militantes communistes, catholiques ou résistantes sont déportées et envoyées à Auschwitz-Birkenau (cf. Le convoi du 24 janvier, publié en 1965). Les « 31 000 », sont-elles surnommées en raison de leur matricule entrent dans le camp en chantant La Marseillaise. A partir de cet instant, la mort ne cessera de frapper.
Au travers de son œuvre, Charlotte Delbo nous décrit les enfers. Elle crache son expérience concentrationnaire glaçante avec tendresse et sensibilité, celle d'une femme qui malgré sa foi inébranlable en la vie, en l'humanité, se voit vivre l'inimaginable, l'inconcevable. Le seul horizon qui se dresse devant elle et tous les déportés était gris : gris comme le brouillard, gris de cendres. Toute lueur d'espoir qui fleurit semble pourtant s'éteindre mais elle reste debout.
Par le sujet qu'elle traite, par les mots lancinants et froids qu'elle emploie, et par le style où elle entremêle prose et vers (sans oublier une touche d'influence théâtrale), Charlotte Delbo atteint le lecteur, l'implique, le fait pénétrer dans les camps. Pourtant, malgré la mort pesante et omniprésente, nous devons ses œuvres à la survie. Après sa libération le 23 avril 1945, elle dépeint dans différents écrits ses émotions, les images qui la hantent et la tourmentent, tout ce qu'elle a contenu en elle pour rester debout, pour se battre : se battre contre toute raison. Elle se débarrasse de ce supplice et vous le transmet. En tant que femme politiquement et culturellement engagée, elle se doit de témoigner et de rendre hommage à ceux qui sont partis et qui ne sont jamais revenus. Lecteurs, cette œuvre vous glacera le sang mais elle est pour moi transcendante.